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Sûreté aéroportuaire : entreprise de découragement – Le Regard d’Éric de Riedmatten

Par Eric de Riedmatten
Octobre 2022

Quand je regarde les temps d’attente dans les aéroports, pour embarquer, surtout au moment des grands départs en vacances, je me dis qu’il y a sûrement quelque chose à faire.

Le potentiel de développement de la sûreté aéroportuaire est fantastique et pourtant ça coince. C’est long, pas rassurant, anxiogène. Et en même temps, je suis épaté par les missions que remplit ce secteur. J’en parlais avec le président du SESA, (Syndicat des Entreprises de la Sûreté Aérienne et Aéroportuaire).

Il y a le filtrage, le contrôle des billets, la gestion du passage aux scanners pour l’analyse des bagages, la fouille au corps après le portique, la vérification des chaussures par le procédé « Shoe Scan » et le contrôle d’accès dans l’avion.  Et tout cela dans le cadre d’une délégation de service public, sous le contrôle de l’État. Pas loin de 9 000 emplois directs dépendent de ce secteur pour assurer les tâches majeures. Il y a tellement de tâches, d’ailleurs, que le moindre grain de sable grippe l’organisation et paralyse les aéroports. On l’a bien vu l’été dernier.

Les files d’attente se sont allongées créant un véritable enfer pour tous ceux qui partaient. Des passagers ont dû attendre 5 heures avant d’embarquer à l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam ; il y avait 4 heures d’attente à Francfort alors que Londres Heathrow vivait dans le chaos.

Les raisons sont connues. 

Le problème vient de la multiplication des tâches, conjuguées au pic post covid, avec un afflux de passagers sans précédent.

Ce à quoi s’est ajouté le manque de personnel qui touche tous les métiers et qui n’épargne pas le secteur de la sûreté aérienne. Et pourtant, les missions de contrôle n’ont jamais été aussi essentielles dans un climat où la violence s’exacerbe partout avec en toile de fond le risque terroriste qui n’a pas faibli.  J’ai pu m’entretenir avec Jean-Baptiste Thelot, président du Sesa, le Syndicat des Entreprises de la Sûreté Aérienne et Aéroportuaire.

Concernant la gestion des files d’attente, la France s’en tire mieux que ses voisins m’a-t-il confié. Mais il y a un gros obstacle.

L’ACCÈS À LA PROFESSION ENTRAVÉ PAR LE POIDS DE L’ADMINISTRATION

L’accès à la profession se trouve entravé par le poids administratif et les contraintes liées au recrutement.

Et voilà un nouveau paradoxe que je voulais aborder ici. J’entendais vendredi que la France voyait son taux de chômeurs repartir à la hausse. Que l’année se finirait avec 8% d’inscrits à Pôle Emploi, alors que nous étions à 7% au début de l’année. Et dans le cas des métiers de la sécurité, on ne peut pas dire que la guerre en Ukraine et la hausse des coûts des matières premières soient responsables d’une reprise du chômage. C’est bien la pénurie de main-d’œuvre et le non-désir de prendre un job qui bloque la reprise. 

Il y a, en France, des secteurs très attractifs. La sûreté aéroportuaire en fait partie. Hélas, c’est une véritable entreprise de découragement pour y accéder.

CINQ MOIS POUR VALIDER UN RECRUTEMENT

Le SESA me disait qu’il fallait 5 mois entre le moment où un candidat se présente à l’embauche et le jour où il prend son poste. Cinq mois d’étapes infernales durant lesquels la future recrue ne sera pas payée un centime et devra patienter des semaines entières pour franchir les cinq étapes indispensables à la délivrance du badge. Alors que deux mois seraient la norme selon le SESA.

L’administration brille une fois encore par sa lenteur et multiplie les réponses décourageantes quand une entreprise la questionne sur l’évolution de la procédure.

FACE AUX LENTEURS, TOUJOURS LA MÊME RÉPONSE : « C’EST EN ENQUÊTE »

« C’est en enquête » devient une phrase rituelle qui mène au découragement du candidat, lequel finit par jeter l’éponge. Et voilà tout un secteur ralenti, bloqué dans son évolution malgré des salaires très attractifs 35 à 40% au-dessus du SMIC.

Sidérant :  pour accéder au métier, il faut franchir 5 contrôles d’une grande sévérité. On peut comprendre ces contrôles car finalement, le filtrage est la garantie d’une sélection sérieuse. 

Ce qui ne va pas, ce sont les délais. Et les doublons.

Ne pourrait-on pas accélérer les procédures à un moment où la profession réclame de la main-d’œuvre ? Ce qui va devenir une urgence avec la perspective des évènements sportifs prévus en 2023 et 2024.

COMMENT FERA-T-ON POUR GÉRER LES EMBAUCHES EN VUE DES JO ?

Pourra-t-on gérer l’afflux de demandes liées à la sécurité de la coupe du monde de rugby et l’organisation des JO de Paris ? J’apprends que l’administration a tellement peur d’être dépassée quelle vient d’annuler un festival musical (les Vieilles Charrues) qui devait avoir lieu en même temps que les JO. Et il y en aura d’autres ! Dommage pour l’emploi. 

Car oui, il faut recruter, donner les agréments. Et cela demande des délais incompressibles.

Comme le précise Jean-Baptiste Thelot, il faut lancer les démarches de contrôle de casier judiciaire, mener une enquête de moralité, déclencher la demande de carte professionnelle, obtenir le double agrément, organiser le passage à la préfecture, décrocher les validations du CNAPS avant l’obtention du badge d’accès. 

Oui, tout cela ressemble à une entreprise de découragement alors que la profession recrute et a besoin de bras.

A cela s’ajoutent d’autres problèmes plus humains. Lorsqu’un jeune parvient enfin à décocher son job, (jusqu’à 6 mois d’attente), il doit gérer la question du transport, du logement, parfois cher dans la région, sans oublier les horaires décalés qui le font finir la nuit ou commencer aux aurores.

AIDEZ LES ENTREPRISES À RECRUTER RAPIDEMENT !

Pour qu’une filière soit attractive et qu’elle ne suscite pas de frustrations et de découragements, elle doit être écoutée par les pouvoirs publics. S’il vous plaît messieurs de l’administration. La France a besoin de bras. C’est positif mais de grâce, fluidifiez l’accès aux professions essentielles, sans sacrifier la sécurité des contrôles.

Il serait vital de donner un coup de collier pour aider ces entreprises à recruter sans délai, sinon, c’est l’attractivité du métier qui sombrera et qui mettra la France dans une situation de péril pour sa propre sécurité.

Sécuriser notre sécurité, c’est à mon sens la priorité.

Éric de Riedmatten 

Une émission Agora Médias
Directeur de la publication : Michaël Lejard
Chef d’édition : Eric de Riedmatten