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L’État se méfie-t-il de la sécurité privée ? – Le Regard d’Éric de Riedmatten

Par Eric de Riedmatten
Avril 2022

On peut s’interroger sur les choix de l’Etat lorsqu’il s’agit de faire travailler des entreprises privées. Certes, les appels d’offre existent. Certes, les contraintes liées aux marchés publics semblent strictes.
Mais à l’arrivée, le choix de telle ou telle entreprise est toujours sujet à caution. On le voit bien avec l’affaire McKinsey. L’Etat a-t-il privilégié un cabinet conseil au détriment d’un autre ? Pourquoi l’opposition s’est-elle emparée de cette affaire au point de parler de « copinage » pour dénoncer le choix abusif de l’exécutif. Dans le domaine de la sécurité, faire travailler une entreprise privée, dans le cadre du continuum n’est pas une mince affaire. Le GES (le Groupement des Entreprises de Sécurité) n’a eu de cesse de dénoncer les carences de la loi sur la sécurité globale lorsqu’il s’est agi d’aborder la question de la sous-traitance au secteur privé. Un dossier « sous-traité » disait le groupement il y a 2 ans.

Est-ce parce que l’Etat ne veut pas lâcher trop de lest sur la sécurité qu’il hésite à confier des missions de première importance à des entreprises qui échappent à son contrôle ? On le voit bien dans le nucléaire, le recours aux entreprises privées est extrêmement limité. Et lorsque l’on interroge l’État, celui-ci répond que des limites ont été fixées pour des raisons de « sécurité, de santé et de salubrité publique ». Dans ce cas précis, on le voit bien, la confiance ne règne pas vraiment !

De même, le recours au privé pour la protection armée de navires cargos est également restreinte. Le GES y voit là une atteinte à la liberté d’entreprendre et une restriction aux règles de libre concurrence. Et il a raison. Pourquoi la sécurité serait-elle le seul domaine réservé de l’Etat ? L’exécutif a-t-il peur de perdre un pouvoir quelconque ? Ou l’administration a-t-elle peur de froisser les fonctionnaires et donc les syndicats ?


Pourtant, à bien y regarder, l’État ne hurle pas au loup lorsqu’il permet à un acteur privé de venir concurrencer les chemins de fer français sur leurs propres rails. L’Italien Trenitalia est venu grignoter 150 000 clients de la SNCF en quelques mois sur la ligne Paris-Lyon. Cette concurrence ne gêne personne sauf les syndicats qui n’ont que leurs yeux pour pleurer puisque l’Etat justifie son choix au seul motif de l’ouverture des marchés imposée par Bruxelles.


Alors pourquoi ce qui est possible dans un secteur ne le serait-il pas ailleurs ? On comprend que cette situation irrite l’univers de la sécurité privée. Des trains privés OUI, mais des agents de sécurité privés au service de l’Etat : Non.

Bien sûr que les choses évoluent et vont évoluer. Les entreprises du secteur de la sécurité sont bien « armées » pour le faire savoir aux plus hautes instances dirigeantes depuis que leur secteur s’est regroupé sous la forme d’une fédération puissante.

Continuum : En attendant que les lignes ne bougent, l’agacement monte d’un cran.


Que dire de cette application « MonSherif » mise au point par une entreprise privée, et dont le but est de prévenir en amont, et suffisamment à temps, les violences faites aux femmes ? Un simple bouton, porté en tour de cou, est capable d’alerter les proches si une menace se profile : C’est un service judicieux et utile. L’administration a été informée de l’existence du système. Un millier de commandes ont même été signées par une collectivité. Mais le rayonnement de ce système reconnu fiable semble avoir été tué dans l’œuf par l’administration.

Cette semaine, ANews Sécurité consacre son émission « Panorama » animée par Alexandre Carré à ce cas d’école étrange. Comment un système d’alerte qui s’inscrit dans la droite ligne du continuum est-il ainsi enterré par les pouvoirs publics alors qu’un dispositif similaire et dont le coût est proche, est retenu par l’administration ?

Intéressant d’écouter l’enquête menée par le journaliste Valentin Gaure du magazine Valeurs Actuelles. Selon lui, le dispositif « MonSherif » aurait été tout bonnement évité par l’Etat ! Nos dirigeants préférant privilégier une technologie (soi-disant) moins coûteuse, voire gratuite !

L’Etat devrait profiter du continuum

Comme le dit très justement Alain Juillet, ancien patron de la DGSE, l’Etat devrait profiter du continuum pour alléger sa charge. Prenons un exemple concret : celui des policiers affectés à des gardes de sécurité, (pour protéger des personnalités) par des agents privés ? Sait-on seulement que 10 000 fonctionnaires sont utilisés chaque année dans ces emplois que l’on appelle « déqualifiés ? »  Quand on sait qu’il faut six agents des forces publiques pour protéger une seule personnalité, on peut s’interroger sur le détournement des missions des forces de l‘ordre. A l’heure où l’on manque d’effectifs sur le terrain, il serait tellement plus simple de confier ces tâches à des agents privés !  N’y-a-t-il pas là une solution offerte par le continuum ? 

Quant à savoir si l’Etat ne se confond pas dans une sombre affaire de « favoritisme » en choisissant une solution plutôt qu’une autre, vous serez intéressé par le regard de Georges Fenech.

Au final, que retenir de toute cette affaire ? Qu’une entreprise privée peut pâtir du choix arbitraire d’un Etat. Mais que faire contre ? Faut-il plus de transparence dans les appels d’offre et remonter les filières afin de vérifier si « entente » ou « copinage » existent bel et bien ?

Dans le cas de la sécurité, il est juste regrettable que le continuum soit freiné par des carcans d’un autre temps.

Il serait temps que les futurs occupants de Matignon (quels qu’ils soient) se penchent sur la question du relais de compétences. Dans ce domaine : le jeu de l’Etat est trouble. Il consiste à ne pas se prononcer clairement comme si le continuum gênait ou freinait ses missions à savoir la sécurité. Est-ce un domaine réservé ?  Et lorsque l’on voit le nombre de hauts-fonctionnaires surdiplômés, issus de l’ENA doublonnés par des consultants de cabinets conseils : que peut-on penser ? On dit que le secteur privé est suspecté « de faire de l’argent », oui c’est vrai quand on pense au milliard d’euros engagé par l’Etat pour s’adjoindre les services de cabinets de consultants. Mais alors, dans le domaine de la sécurité, cette liberté serait interdite ? Ou évitée ?

Dans le cas du dispositif « MonShérif », présenté par Dominique Brogi dans l’émission Panorama, il y a bien une dimension de continuum de la sécurité car son système offre une prévention à la violence. Il permet de décharger les tribunaux de possibles plaintes futures. Voilà un bon exemple de complément d‘actions.  Bien sûr chez ANews Sécurité, nous croyons aux efforts de l’Etat pour développer ce continuum surtout dans la perspective des évènements sportifs de 2023 et 2024.

Il reste à espérer que la recomposition de la Chambre des députés dans quelques semaines permettra de donner une nouvelle chance au continuum. Ouvrir les yeux sur l’intérêt des complémentarités, c’est la meilleure façon de renforcer la sécurité des Français.

Eric de Riedmatten

Directeur de la publication : Michaël Lejard
Directeur de la rédaction : Alexandre Carré